L'évolution du Cameroun de 1960 à nos jours


L'évolution politique du Cameroun à partir de 1969 peut être divisée en deux phases de longueur à peu près égale. La première, qui va de 1960 à 1982, est celle de la Première République du Cameroun. Elle est marquée par la personnalité de M. Ahmadou Ahidjo, devenu président de la République le 10 avril 1960.

La seconde phase, celle de la Deuxième République du Cameroun, commence en 1982 et se poursuit encore. Elle est dominée par la personnalité de M. Paul Biya, devenu président de la République le 6 novembre 1982.

Première République du Cameroun

La première République du Cameroun connaît une évolution politique marquée par le passage de l'État fédéral (1961-1972) à l'État unitaire (1972-1982).

le plébiscite

Au moment où le Cameroun français obtient son indépendance, le 1er janvier 1960, le Cameroun britannique est encore sous la dépendance de la Grande-Bretagne. Le 11 février 1961, la Grande-Bretagne lui impose le choix, au cours d'un plébiscite, entre l'indépendance dans le cadre de la fédération nigériane ou l'indépendance dans le cadre d'une union avec la République indépendante du Cameroun. Les résultats du plébiscite partagèrent la poire en deux, la partie Nord du Cameroun britannique se rattachant au Nigeria tandis que la partie Sud s'unissait au Cameroun français devenu indépendant.

la Fédération

Après ce plébiscite, des négociations en vue de trouver la constitution idoine pour les deux Cameroun furent engagées par les hommes politiques camerounais des deux rives du Moungo. A la conférence de Foumban, qui eut lieu du 16 au 21 juillet 1961, les protagonistes optèrent pour la fédération.

Le choix de cette option reposait cependant sur un malentendu car les leaders des deux délégations Ahmadou Ahidjo et John Ngu Foncha, n'avaient pas la même vision de la fédération. Foncha acceptait la fédération tout en pensant à la confédération ou Buéa jouerait véritablement le rôle de capitale d'un Cameroun occidental suffisamment autonome.

Ahmadou Ahidjo, quant à lui, acceptait la fédération tout en considérant qu'elle n'était qu'une étape vers un État unitaire où Yaoundé deviendrait la seule et véritable capitale du Cameroun.

La République Fédérale du Cameroun
Le 1er octobre 1961, ce fut la naissance de la République Fédérale du Cameroun sans que pour autant le malentendu évoqué ci-dessus ait été levé. Au contraire, Ahmadou Ahidjo, devenu Président de la République Fédérale adopta une stratégie visant à amener les leaders politiques du Cameroun occidental à entrer dans ses vues. Il obtint une première victoire lorsque, le 1er septembre 1966, tous les partis politiques du Cameroun occidental et certains du Cameroun oriental acceptèrent de se saborder afin de former, avec l'Union Camerounaise, l'UC, un parti unifié. C'est dans le cadre de ce dernier, l'Union Nationale Camerounaise, l'UNC que furent élaborées toutes les réflexions et les démarches qui allaient aboutir, le 20 mai 1972, à la création de l'État unitaire.

Au-delà de cette évolution vers l'État unitaire, l'État fédéral fut confronté à la contestation de la légitimité du pouvoir que détenait Ahidjo depuis le 1er janvier 1960. En effet, une frange de la population camerounaise sous obédience de l'Union des Populations du Cameroun, l'UPC estimait que l'indépendance octroyée par les Français n'était qu'un simulacre et que Ahidjo n'était qu'un valet de la colonisation qu'il fallait combattre. Les leaders de l'UPC en exil déclenchèrent ainsi une insurrection armée dès la proclamation de l'indépendance, insurrection qui allait cependant connaître des débordements, se transformant quelquefois en actes de brigandage, de banditisme et en règlements de compte. Ahidjo, aidé en cela par les Français, allait mener une lutte sans merci contre ceux qu'il considérait alors comme des rebelles. La victoire fut de son côté car non seulement il bâillonna l'opposition intérieure à travers l'ordonnance de mars 1962 mais encore, les leaders de l'UPC en exil furent tués l'un après l'autre. Le dernier d'entre-eux, revenu au Cameroun pour organiser de l'intérieur la lutte armée, Ernest Ouandié, fut arrêté, jugé dans un procès resté célèbre qu'on appela procès Ouandié-Ndongmo, et condamné à la peine capitale. Il fut fusillé le 15 janvier 1971.

Fin de l'État Fédéral
L'hypothèque UPC étant ainsi levée par la mort de Ouandié, Ahidjo pouvait mettre fin à l'État fédéral. Il invita les Camerounais à se prononcer par référendum pour le maintien ou non de l'État fédéral. Cette consultation eut lieu le 20 mai 1972 et les Camerounais optèrent pour l'État unitaire par 99,9% des voix. Un véritable plébiscite ! Une constitution unitaire organisait désormais la vie politique camerounaise au sein de la République Unie du Cameroun. Dans ce nouveau cadre, Ahidjo ne rencontra que très peu d'opposition ouverte. Il se permit même de répandre des rumeurs sur son éventuel refus de présenter sa candidature aux élections présidentielles de 1975. Le congrès de l'UNC de 1975 à Douala fut enthousiasmé par le Oui j'accepte qu'il prononça pour mettre fin à ces rumeurs. Il fut élu en 1975 et réélu en 1980. Alors qu'on s'y attendait le moins, il décida de démissionner de ses fonctions de président de la République Unie du Cameroun le 4 novembre 1982. Il demanda aux Camerounais d'accepter que son successeur fût Paul Biya, son successeur constitutionnel. Ce dernier prêta serment le 6 novembre 1982 et devint ainsi le second président du Cameroun. Avec lui commençait

La Deuxième République
La Deuxième République du Cameroun connaît également une évolution en deux phases. La première qui va de 1982 à 1990 fut consacrée à la maîtrise et à la gestion de la transition et la seconde qui commence en 1990 consacre la renaissance des libertés, politiques au Cameroun.

La démission de Ahidjo et l'accession de Paul Biya semblaient indiquer des lendemains harmonieux au Cameroun car, dans son discours d'investiture, Biya se prononça pour la continuité dans la fidélité à un homme, son illustre prédécesseur. Très vite cependant, des fissures apparurent dans ce bel édifice car, tout en se prononçant pour la continuité, Paul Biya plaça son régime sous la bannière de la rigueur et de la moralisation, mots encore inconnus dans le langage politique camerounais. Des inquiétudes se firent jour çà et là et, Ahidjo, qui n'avait pas abandonné la direction du parti à son successeur, crut utile de passer par ce canal pour reprendre d'une main ce qu'il avait donné de l'autre. Il annonça le 31 janvier 1983 que l'UNC avait la prééminence sur l'État et il s'employa à le démontrer sur le terrain par des entorses protocolaires. La fissure devint de plus en plus cassure et Paul Biya chercha à maîtriser et à gérer le pouvoir qu'il détenait. Il procéda à des remaniements ministériels, nommant de préférence des hommes à lui au détriment de ceux choisis par son prédécesseur. Le Cameroun entra alors dans une sorte de bicéphalisme qui donna lieu à des choisis par son prédécesseur. Le Cameroun entra alors dans une sorte de bicéphalisme qui donna lieu à des complots, des tentatives d'assassinats des procès et des condamnations. La crise la plus profonde dans cette bataille pour la maîtrise effective du pouvoir au Cameroun eut lieu le 6 avril 1984 lorsque des officiers de l'armée camerounaise originaires du Nord - Cameroun et considérés comme les alliés de Ahidjo organisèrent un coup d'État pour renverser le président Biya. Cette tentative de coup d'État échoua entraînant par ce fait même des procès et des exécutions.

L'échec de ce coup d'État libéra totalement Paul Biya de l'emprise de son illustre prédécesseur. Pour matérialiser cette émancipation, Paul Biya prit une série d'options politiques marquant clairement la fin du bicéphalisme et la maîtrise d'un pouvoir dont il était désormais le seul et légitime propriétaire. C'est ainsi qu'il décida, sans transition, de passer de la République Unie à la République du Cameroun, d'organiser le quatrième congrès de l'UNC au cours duquel l'UNC fondé par Ahidjo devint le RDPC, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais avec pour fondateur Paul Biya. Il convoqua également les électeurs pour des présidentielles anticipées afin de se donner une légitimité populaire. Par ces actes, Paul Biya devint le véritable président de la République et put alors engager la seconde phase de sa gestion politique du Cameroun, celle qui est consacrée à la renaissance des libertés politiques.

Y est-il arrivé de sa propre initiative comme il l'affirme quand il dit qu'il est celui qui a apporté la démocratie au Camerounais? Y a-t-il été forcé par l'affaire Yondo ou la marche de Bamenda comme l'affirment ses adversaires politiques? Le débat reste encore ouvert. Quoi qu'il en soit c'est sous Biya que fut rétabli le multipartisme au Cameroun. On compte aujourd'hui plus d'une centaine de partis. Toutefois, ceux qui émergent vraiment sont peu nombreux. On peut citer parmi les principaux:

le RDPC, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais
le SDF, Social Democratic Front
l'UNDP, Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès
l'UDC, Union Démocratique du Cameroun
l'UPC,Union des Populations du Cameroun, divisé en plusieurs tendances
le MDR
le MLDC, Mouvement pour la Libération et le Développement du Cameroun

Sous ce règne il y a eu une tentative de dialogue entre Camerounais à travers la tripartite, le large et grand débat, ainsi que des élections où plusieurs partis ont eu à s'affronter. On assiste aussi à des alliances entre partis politiques telles que l'alliance RDPC-MDR ou encore RDPC-UNDP. Des négociations RDPC-SDF ont également eu lieu

Cette renaissance des libertés amorcée pendant la deuxième phase de l'ère Biya n'a pas eu que des effets positifs. Elle a aussi libéré les revendications identitaires qui par moments frisent des conflits ethniques entre différents groupes camerounais. Le groupe dont les revendications identitaires sont les plus virulentes reste la minorité anglophone qui affirme à cor et à cri qu'il existe un problème anglophone au Cameroun.

On doit cependant à la vérité de dire que cette renaissance des libertés attendue depuis longtemps n'a pas comblé toutes les attentes des Camerounais. La mise en application de certains aspects de la nouvelle constitution est encore à venir; les contestations électorales sont encore monnaie courante et on parle aussi de violation des Droits de l'Homme. Combler ces différentes lacunes doit rester la priorité du Cameroun à l'aube du XXIe siècle.

Professeur Daniel Abwa
chef du département histoire à l'Université de Yaoundé